HDA - Le tragique - Hiroshima mon amour d'A. Resnais

Le film Hiroshima mon amour, séquence "tu n'as rien vu à Hiroshima" (5 min.45 env)

Présentation générale de l'oeuvre

Film franco-japonais d'Alain Resnais sorti en 1959 sur un scénario de Marguerite Duras.
Synopsis : En août 1957, une comédienne française vient à Hiroshima tourner un film sur la paix. Elle rencontre un Japonais, architecte, qui devient son amant. Leur histoire commence la veille du retour en France de la comédienne, leur temps ensemble est limité à celui du tournage, ce qui rend leur rencontre encore plus passionnée. Ils ont en point commun d'avoir connu une tragédie, ce qui les rapproche et les sépare en même temps.

C'est le premier long métrage d'Alain Resnais. Il venait d'être plusieurs fois récompensé pour son documentaire Nuit et Brouillard, film référence sur les camps d'extermination. Il fait le choix de la fiction pour évoquer le bombardement sur Hiroshima. Le film est considéré comme un chef-d'oeuvre du cinéma mondial.

 Description de l'extrait

Cette séquence décrit la tragédie vécue par l'architecte japonais. C'est l'unique référence à la bombe et aux dégâts qu'elle a causés dans tout le film.

Le son

Un dialogue « déséquilibré » entre un homme et une femme
la femme : texte très travaillé et poétique, mais manquant de naturel et de spontanéité
le japonais : « tu n'as rien vu à Hiroshima »
Une musique pour petit ensemble (piano, quelques cordes et quelques instruments à vents) ininterrompue pendant tout l'extrait.  Elle change plusieurs fois de thème,  de caractère et suit le montage qui effectue des « sauts » (cf images). C'est une sorte de collage. Elle a été écrite par Giovanni Fusco et Georges Delerue. Les différents thèmes reviendront tout au long du film et seront traités en leitmotiv.

Les images

  • L'extérieur du musée d'Hiroshima vide
  • La visite du musée avec cadrages surprenants
  • Extrait du film de fiction Hiroshima de Hideo Sekigawa (1953)
  • Les actualités et documents informatifs
  • une main et un dos (le couple franco-japonais)

Contexte historique de l'oeuvre

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La bombe atomique fut élaborée en secret, l'opération fut appelée projet Manhattan. Après le succès de l'essai « Trinity » dans l'atoll de Bikini, et l'échec de l'ultimatum demandant la capitulation des armées japonaises, le bombardement est programmé ; Hiroshima est donc la 2ème bombe atomique de l'histoire de l'humanité.
A 8 h 17 (heure locale), Little Boy, une bombe atomique à fission de 12 Kilotonnes (équivalent TNT) à l'uranium 235 de 4500 kg est larguée à 500 m d'altitude, elle produit un champignon de 10 000 m d'altitude. Ses types de dégâts observés sont

  • 50 % : un effet mécanique. Un vent violent à 300 km/h provoque arrachements et projections. Ainsi on pourrait comparer cela à une gigantesque tempête. Le moindre débris de verre ou de bois peut alors blesser mortellement.
  • 35 % : un effet lumino-thermique. Une température estimée à 3000 ° C provoque des incendies spontanés. Au plus près de l'épicentre, les corps sont réduits en poussière instantanément  laissant des ombres sur les murs.
  • 10 % : les effets du rayonnement (initial puis résiduel). Les radiations sont mortelles jusqu'à 900 m, graves jusqu'à 2700 m. La bombe ayant explosé en altitude, les effets délétères du rayonnement furent un peu limités. Les plus gravement irradiés meurent dans les jours et semaines  qui suivent dans d'atroces souffrances. Pour les autres, le patrimoine génétique est modifié, ils risquent de développer des cancers ou des maladies du métabolisme graves. Les survivants appelés Hibakusha seront longtemps victimes de discriminations du fait de l'ignorance des maladies dues à l'atome.
  • Une impulsion électromagnétique. Ce type de dégâts aurait été redoutable aujourd'hui, provoquant la mise hors services de tous les dispositifs utilisant de l'électronique  notamment les télécommunications, les transports, les matériels médicaux... On sait aujourd'hui qu'elles ont un effet délétère sur la santé humaine

Interprétation et intérêt historique

Hétérogénéité des temps et des images pour représenter la mémoire

Cette séquence bien qu'appelée « Documentaire » par Alain Resnais et Marguerite Duras lors de l'élaboration du film n'est pas un documentaire au sens strict : trois temps différents cohabitent :

  • le temps des amants, c'est le présent du film
  • Voyage au Japon de la femme, c'est le passé proche, quelques jours avant la rencontre avec le Japonais, moment où elle visite le musée
  • les actualités et documentaires (passé moins proche : lendemain de la bombe et jours suivants), ce que la Française a vu à la télévision. SITE INA

On est en quelque sorte dans l'esprit de la Française, cette séquence montre le cheminement de ses souvenirs le film semble montrer les images qui lui viennent à l'esprit au fur et à mesure que les souvenirs remontent. La musique par ses changements vient le confirmer.

Un drame collectif

Le personnage de l'architecte ne parle pas de ce qu'il a vécu. Son métier est un symbole d'une volonté d'aller de l'avant : il reconstruit de nouveaux édifices pour remplacer ceux qui ont été détruits.  Il fait preuve d'une pudeur à la fois masculine et japonaise. A noter que le pronom "je" n'ai pas d'équivalent direct en japonais ; parler de son ressenti ou de ce que l'on pense nécessite une construction grammaticale spécifique selon le contexte (conversation amicale, en présence ou non d'un supérieur hiérarchique etc...). L'acteur ne parle pas français. Dans ce film, il joue un texte qu'il a appris phonétiquement.

La phrase « tu n'as rien vu à Hiroshima » peut revêtir plusieurs sens :

  • l'actrice n'était pas là le 6/8/1945, elle ne peut pas « vraiment » savoir, elle n'a pas vécu l'événement
  • le film se situe 15 ans après l'événement et la ville est déjà reconstruite, les cicatrices du bombardements ont disparu.
  • les souvenirs sont subjectifs, propre à la personne, ce qui est montré par le cadrage dans le musée

Les souvenirs sont reconstruits par notre cerveau, ainsi l'image mentale d'une même situation peut-être très différente d'une personne à l'autre, d'où l'importance des preuves matérielles (photos, objets ...)

Cette séquence montre quelques plans panoramiques sur le parc de la paix, le musée d'Hiroshima, le dome et le cénotaphe. Le paysage en 1959 est presque lunaire : il y a peu de végétation, l'impression rendue est donc beaucoup plus austère.

Conclusion

L'approche d'Alain Resnais est tout à la fois  esthétique et documentaire mais surtout psychologique. Il ne cède pas à la facilité de l'histoire d'amour démonstrative et mièvre, au sensationnel du film d'action, il mélange fiction et documents d'archives. La séquence s'inscrit bien dans un projet de devoir de mémoire tout en soulignant les limites du projet : l'impossibilité de restituer le drame tout entier.

Les reconstitutions ont été faites le plus sérieusement possible.
Les films ont été faits le plus sérieusement possible.
L'illusion, c'est bien simple, est tellement parfaite que les touristes pleurent.
On peut toujours se moquer mais que peut faire d'autre un touriste que, justement, pleurer?

Oeuvres connexes : le mémorial de la paix d'Hiroshima

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